Session d’introduction : Transition numérique et mutation des sociétés en Méditerranée
La 10ème édition de la Semaine économique de la Méditerranée a été lancée par l’Office de Coopération Economique pour la Méditerranée et l’Orient (OCEMO), ce mercredi 2 novembre 2016.
Devant l’auditoire de l’Amphithéâtre de la Villa Méditerranée, Bernard Valero (Directeur de l’AViTeM) a introduit son discours en rappelant l’ADN méditerranéen de Marseille, ville forgée au travers de 26 siècles d’histoire, et qui est aujourd’hui résolument tournée vers le numérique.
L’espace méditerranéen, au cœur de l’actualité ces derniers mois, notamment en raison des crises politiques et migratoires dont elle est le théâtre, doit faire face à de nombreux défis. La connexion des territoires et des citoyens peut être une voie vers la construction d’une Méditerranée durable, qui favorise la paix et le développement économique, dans un espace inclusif, s’étendant sur ses deux rives, et au-delà en Afrique.
Pour atteindre cet objectif, Bernard Valéro lance une mise en garde sur la nécessité « d’éviter toute amorce de fracture numérique ». Il est rejoint sur ce point par Mme Assia Bensalah Alaoui (Co-présidente de l’OCEMO et Ambassadeur Itinérant de Sa Majesté Mohamed VI, Roi du Maroc) qui appelle de ses vœux la solidarité et le « vivre-ensemble », afin que les jeunes générations méditerranéennes puissent avoir le futur auquel elles aspirent.
Le numérique offre des opportunités formidables, en termes d’emploi, de formation et de financements. Grâce au virage numérique, la Méditerranée peut prétendre entrer dans une nouvelle ère. L’utilisation des réseaux sociaux révolutionne la société et est un facteur d’accélération de sa démocratisation, comme en témoigne le Printemps arabe.
La Méditerranée connectée de demain, devra cependant éviter certains écueils, afin de ne pas reproduire les disparités et les schémas actuels (exclusion et chômage des jeunes, disparités Nord-Sud, tensions religieuses avivées etc.). Une offre de qualité et accessible au plus gr and nombre permettra de réussir la transition en cours, sans exacerber davantage les inégalités.
Au cours de cette session d’introduction, un panel d’experts nous a livré des clés de compréhension sur la transition numérique et la mutation des sociétés en Méditerranée.
Certains territoires, comme Marseille, ont déjà opéré la révolution numérique explique Pierre-Jean Benghozi, membre du collège de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes. Ville ultra-connectée, Marseille a su tirer son épingle du jeu, en devenant un hub des liaisons câblées sous-marines. Les quelques 800 000 fibres optiques de la région et la croissance des entreprises d’informatique et de numérique sur le territoire en attestent.
Objets connectés, Wi-fi, 3G-4G, Cloud… autant de technologies qui se sont immiscées dans le quotidien des méditerranéens, aussi bien dans les bureaux, que dans les foyers, dans l’espace public ou dans l’espace privé. Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) ont la particularité de concerner tous les secteurs de l’économie, y compris les activités plus traditionnelles. En permettant des approches et des réponses nouvelles, le numérique a contribué à atteindre des objectifs souhaités par le management, en repensant la nature des services proposés, en favorisant le travail collaboratif et en réseau ou encore en améliorant les processus de création de valeurs.
Tout un pan de l’économie est en mutation : « on s’oriente vers une économie du partage mais également vers un monde où l’offre de services est pléthorique » ajoute Pierre-Jean Benghozi. De nouveaux modes de consommation émergent et font de la concurrence aux secteurs traditionnels, en développant un nouveau business model qui s’appuie sur les nouvelles technologies (Uber/ Taxis, AirBnB/ Hôtellerie etc.).
La régulation de ce secteur est donc complexe et la plupart des pays doivent adopter des législations et des réglementations afin de dépasser le modèle de l’industrie manufacturière et de proposer une gouvernance qui réponde aux besoins des citoyens, à la nécessité de performance et à la mise en valeur des territoires mal ou peu connectés. Si le numérique ne fait pas toujours l’unanimité et nécessite des investissements de départ conséquents, il reste néanmoins une opportunité pour mettre en valeur les territoires (passer du global au local) et en retirer des retours sur investissements importants.
Selon l’expression employée par Adel Ben Youssef, Maître de conférences à l’Université Côte d’Azur, on assiste à un véritable « tsunami numérique ». Pour transformer la menace en opportunité, les pays du bassin méditerranéen doivent élaborer une stratégie de réponse adaptée. La rapidité des innovations a été sans précédent depuis le début des années 2000 : les moyens de communication et d’interaction avec les autres ont évolué avec la naissance de Skype ou des réseaux sociaux, l’expérience de l’internet mobile a réduit les frontières entre vie privée et vie professionnelle, le Cloud permet de stocker de plus en plus de données. Or, il ne suffit pas de collecter de plus en plus de données ou de mettre des objets connectés partout, encore faut-il donner du sens à tout cela. Les exemples sont nombreux à travers les applications de notre vie quotidienne, la naissance des « Smart City » ou encore la robotisation de l’industrie. L’intelligence artificielle va transformer la vie de millions de citoyens en Méditerranée. Un changement de paradigme est en cours et il faut se préparer afin d’assurer la connectivité du plus gr and nombre, notamment en repensant les politiques de subventions et les modèles éducatifs. C’est également une opportunité de repenser les relations entre la Cité (l’administration) et les citoyens. Comme le souligne Florence Dur and-Tornare, Fondatrice et déléguée de l’association des Villes Internet « c’est la question de l’identité numérique du citoyen qui se joue, de sa participation au processus démocratique, mais aussi et surtout à la protection de ses libertés fondamentales. »
S’il reste du chemin à parcourir, les initiatives se multiplient de part et d’autre des deux rives de la Méditerranée. Plusieurs exemples ont ainsi pu être évoqués par les experts présents.
Le Centre National RFID, par exemple, vise à stimuler la compétitivité industrielle à travers les objets connectés. A cet égard, son Directeur, M. Jean-Christophe Lecosse souligne que les enjeux sont importants en Méditerranée, où le tissu économique est caractérisé par la présence de nombreuses PME qui sont capables de maîtriser et d’influencer leur « supply chain ». Le CNRFID promeut l’adoption de ces nouvelles technologies à travers un centre d’expérimentation et d’usages des objets connectés dont la vocation est de favoriser les échanges de savoir-faire et d’innovation entre les secteurs d’activités. Cela est complémentaire du projet « French Tech » qui permet de faire découvrir l’univers des objets connectés aux professionnels. Un autre exemple a été développé par Christophe Reynaud, Responsable innovation chez MGI, à propos de l’adoption des outils du numérique dans le développement du secteur portuaire. « Depuis plusieurs années, le secteur est révolutionné par la dématérialisation des services et la connaissance des données en temps réel, afin de s’orienter vers des Smart Port ».
Le numérique constitue donc une opportunité pour de nombreuses entreprises, qui se développent dans le secteur. Kevin Polizzi, Président Fondateur de Jaguar Network, constate qu’il est aujourd’hui facile de démarrer une start-up ou de lancer des applications mobiles avec un faible investissement.
Cependant, il existe encore de nombreuses limites et obstacles. S’il est par exemple assez aisé de stocker des données dans les Data Center, il est plus difficile de pouvoir exploiter ces données et de créer de la plus-value. Une autre limite est celle de pouvoir attirer les talents sur des territoires peu attractifs et de disposer d’une main d’œuvre qualifiée. Les initiatives se multiplient ainsi pour former des jeunes capables de concurrencer les Etats-Unis et l’Asie, notamment sur le marché africain qui ouvre de belles perspectives. Ce secteur en plein essor, peut par ailleurs apporter une solution au chômage des jeunes, qui reste une préoccupation en Méditerranée.
Pour appuyer le développement de ce secteur, les banques jouent un rôle primordial. La Banque Européenne d’investissement soutient de nombreuses initiatives dans le domaine du digital en Méditerranée. Enfin, les investisseurs du continent doivent être mis en réseau et collaborer de façon intelligente, entre le Nord et le Sud de la Méditerranée. C’est le rôle de Hub Africa qui accompagne la montée en puissance de ce secteur en Afrique. Cet évènement, tout comme la Semaine économique de la Méditerranée, permettent de montrer et de partager les exemples des meilleures pratiques dans le secteur, afin d’inspirer pour répondre aux enjeux actuels.
Virginie Klein, IMPGT